Les autorités américaines ont choisi une procédure particulièrement sévère dans leur enquête sur le « price fixing » chez JP Morgan, décrivant son bureau de négociation de métaux précieux comme une entreprise criminelle opérant à l’intérieur de l’institution bancaire depuis près de dix ans. Dans le dossier pénal qu’il est en train de monter contre la banque elle-même, selon deux personnes au fait du dossier, le DoJ (ministère américain de la justice) accuse six employés de JP Morgan Chase & Co. d’avoir truqué des contrats à terme sur des métaux précieux entre 2008 et 2016.
Fait rare, les procureurs ont inculpé le chef du bureau de négociation de métaux précieux de JPMorgan Michael Nowak et deux autres personnes en les accusant de « conspiration visant à diriger les affaires d’une entreprise impliquée dans le commerce inter-étatique par le biais d’un schéma de racket ». C’est une référence à la « loi sur les organisations influencées par le racket et la corruption », ou RICO (pour « Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act »), une loi fédérale qui prévoit des sanctions pénales prolongées et une cause civile d’action pour les actes accomplis dans le cadre d’une organisation criminelle en cours. Elle est le plus souvent utilisée contre les réseaux de criminalité organisée.
Peter Carr, un porte-parole du ministère de la Justice, a déclaré que si la loi RICO avait déjà, par le passé, été invoquée dans des affaires impliquant de petites opérations de trading et dans des procédures régissant la bonne conduite des entreprises, il n’a pas souvenir que cette loi ait déjà été utilisée pour poursuivre des traders dans une grande banque.
Plusieurs procureurs ont convenu que cette initiative était audacieuse, et au moins un d’entre eux, interrogé par Bloomberg, s’est demandé si le ministère de la justice n’allait pas trop loin. D’autres, en revanche, ont déclaré que le recours à la loi RICO était parfaitement justifié, compte tenu de la complexité et de la durée de la manipulation, faisant écho aux autorités américaines qui ont annoncé les chefs d’accusation.
« En se basant sur le fait que c’est un comportement qui était répandu au sein du bureau -il a été engagé dans des milliers d’épisodes sur une période de huit ans- c’est précisément le type de comportement que la loi RICO est censée punir », a ainsi déclaré l’assistant du procureur général Brian Benczkowski aux journalistes. « Nous allons suivre les faits où qu’ils nous mènent, que ce soit à travers les bureaux ici ou dans toute autre banque ou jusqu’à l’institution financière », a-t-il ajouté.
L’utilisation de la loi RICO suggère que JPMorgan pourrait être confronté à des risques juridiques allant au-delà des nombreuses personnes qui ont déjà été poursuivies, et laisse entrevoir des amendes considérables contre la première banque américaine. La manière dont sera conduite l’enquête est suivie de près outre-Atlantique, car très peu de poursuites contre les grandes banques ont été mises à jour sous l’administration Trump, par rapport à la vague de lourdes peines et de plaidoyers de culpabilité à l’encontre des mêmes banques sous le président Obama.
Manipulation et « spoofing »
Concrètement, les autorités américaines accusent des traders de la banque qui travaillaient dans les succursales de New York, Londres et Singapour d’avoir manipulé des milliers d’ordres de contrats à terme sur l’or et l’argent au profit de la banque et de ses principaux clients. Leur campagne de manipulation des marché et de « spoofing » -technique consistant à placer des ordres puis à les annuler pour tromper les autres participants du marché- a duré une décennie, ont indiqué les procureurs.
Ces mises en accusation surviennent alors que le gouvernement américain vient de perdre, coup sur coup, deux affaires de manipulation de marchés devant les tribunaux (contre Jitesh Thakkar, un développeur qui avait vendu un logiciel à un trader ayant lui-même enfreint la loi avec et contre l’ancien trader d’UBS André Flotron qui était accusé de « spoofing »). Selon l’ancien chef de l’unité de lutte contre la fraude en matière de valeurs mobilières du DoJ Benjamin Singer, il s’agit d’une bonne indication sur le fait que les procureurs « ne sont pas découragés et deviennent plus, et non moins, agressifs » dans la répression de la manipulation du marché. Traditionnellement, le DoJ est réputé pour choisir les affaires qu’il est pratiquement sûr de pouvoir gagner, en espérant que les victoires enverront un puissant avertissement au marché. Les deux derniers revers en date ont en revanche eu l’effet inverse, réduisant l’éventail des cibles potentielles et renforçant les arguments juridiques des futurs défendeurs. Il est donc envisageable, selon des observateurs, que le DoJ tente de faire de ce nouveau cas un exemple.
L’ex-procureur Justin Weddle a déclaré que le ministère de la Justice redoublait d’efforts pour réprimer le « spoofing », pratique jugée criminelle depuis 2011.
En plus de la loi RICO, les procureurs s’appuient également sur les lois contre la fraude électronique pour adresser les allégations de « spoofing » qui ont eu lieu avant qu’elles ne soient spécifiquement interdites, en 2011. La fraude électronique, lorsqu’elle est perpétrée contre une institution financière, est soumise à un délai de prescription de dix ans, contre cinq ans pour le « spoofing ».
Ce n’est pas la première fois que la banque, dirigée par Jamie Dimon depuis 2005, est dans le collimateur du DoJ. En 2015, JPMorgan avait ainsi plaidé coupable sur des accusations de délit d’antitrust, avec d’autres banques mondiales, et admis avoir conspiré pour truquer le cours de certaines devises, notamment le dollar américain et l’euro. JPMorgan avait alors accepté de payer 550 millions de dollars.
Source : BFM Bourse